Publié le 10 septembre 2020

 

FRANÇOISE  VERCHÈRE (*)

DÉNONCE  LA  CONFUSION  ENTRETENUE  SUR

LES  FONDEMENTS  MÊMES  DE  L' ÉTAT  DE  DROIT

 

Le premier décembre 2018, invitée par Anticor 24, Françoise Verchère (*) nous avait offert une conférence sur « La place de la démocratie dans les grands chantiers de l'État ou des collectivités territoriales. ». Elle s'est exprimée cet été sur le Blog de Médiapart répondant à un certain nombre de questions que se posent les citoyens qui croient que leur bon sens, souvent lié à l'intérêt particulier, devrait être celui des instituions qui traitent de l'intérêt général.

Beynac : quand la petite histoire des projets d’infrastructures bégaie…

 

J’ai découvert cet été le bulletin spécial de 24 pages couleurs réalisé par le Département de la Dordogne, présidé par Germinal Peiro, et consacré à l’arrêt du projet de déviation du village de Beynac. Et je l’ai lu avec désolation tant il montre à quel point aucune leçon n’est décidément jamais tirée dans notre pays d’échecs pourtant retentissants. Mais je l’ai lu aussi avec stupéfaction en voyant la confusion qu’il contribue à entretenir pour les citoyens sur les fondements mêmes de l’état de droit.

 

Résumons : le Département porte depuis plusieurs années un projet de déviation routière, le dossier a suivi le parcours administratif obligatoire et obtenu les autorisations nécessaires mais a été contesté devant la justice. Après l’annulation par le Tribunal administratif, puis par la Cour d’appel des arrêtés préfectoraux autorisant ces travaux, le Conseil d’État a sonné la fin de la partie le 29 juin dernier en confirmant l’annulation de l’utilité publique du projet et l’obligation de remise en état du site. Car bien sûr les travaux avaient commencé, plusieurs piles du pont devant enjamber la Dordogne ayant déjà été réalisées. Le citoyen lambda, électeur et contribuable, qui paiera donc pour ce projet avorté ( travaux et démolition) n’y comprend évidemment rien, à juste titre.

 

« Pourquoi un revirement de l’État ? » ; « Pourquoi y a-t-il eu les autorisations et maintenant cet arrêt ? » ; « Puisque les travaux ont commencé, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ? » ; « Quel gaspillage scandaleux ! » « Puisque (presque) tous les élus la veulent, pourquoi ne peut on réaliser enfin cette déviation ? ». Voilà les principales remarques entendues ici et là, frappées du coin du bon sens mais aussi d’une certaine ignorance des procédures. Effectivement pourquoi en est-on là ?

 

En 2014, après la mort de Rémi Fraisse, sur le site du barrage projeté de Sivens, le gouvernement avait mis en place une commission chargée de comprendre comment on pouvait avoir une résistance locale à certains projets d’infrastructure alors que les procédures administratives avaient été respectées. Engagée contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des- Landes, j’avais alors coordonné le témoignage devant cette commission de douze mouvements d’opposition à divers projets ( routes, aéroport, lignes ferroviaires, barrage, center parc etc). Nous avions expliqué qu’une partie du problème résidait dans le décalage entre l’autorisation administrative permettant le début des travaux et la réponse judiciaire sur la légalité qui pouvait intervenir tard, beaucoup trop tard, après la destruction d’une zone naturelle par ex et/ou la construction au moins en partie du projet. Nous avions proposé que les travaux ne puissent commencer avant la fin des recours juridiques, toute en prescrivant un délai raisonnable pour que la justice tranche. On nous a chaleureusement félicités et remerciés pour notre prestation, mais aucune de nos propositions n’a été retenue.

 

Et c’est ainsi que la vie continue à ce jour, hélas...puisqu’on ne sait pas réformer nos procédures défaillantes. Sur NDDL, l’État a fort heureusement renoncé au projet avant la décision du Conseil d’État qui nous a finalement donné raison ( décision passée quasiment inaperçue) et avant l’effondrement actuel du trafic aérien.

 

La carte de France des projets bloqués ou retardés présentée pages 1 et 2 du bulletin spécial de G. Peiro veut surtout accréditer une idée entendue mille fois du côté des bétonneurs « en France on ne peut rien faire », mais elle confirme ce décalage qui devrait être réformé de toute urgence. Plutôt que de se plaindre qu’on ne peut rien faire, il faudrait modifier les procédures sans sacrifier ni l’environnement, ni le droit de contester, ni l’indépendance de la justice. Quel.le député.e s’y collera ? J’ajouterais volontiers qu’il faudrait d’abord éviter les mauvais projets ( une vague de surf artificielle à quelques kilomètres de la mer par ex) mais là je suis dans le rêve...Pour Beynac en tout cas, Germinal Peiro avait donc parfaitement le droit de commencer les travaux même s’il savait que des recours étaient encore pendants, c’était un risque qu’il a pris, avec l’argent du contribuable évidemment. Il se dit même qu’il aurait fait accélérer les dits travaux avant la première décision du Conseil d’État, pour forcer ainsi le destin peut-être. Sans doute la prudence aurait-elle commandé d’attendre mais en France, les élu.e.s n’ont pas beaucoup de comptes à rendre sur l’utilisation de l’argent public, sauf quand elle est frauduleuse ( et encore faut-il des années pour les condamner…). On considère que l’élection ou la réélection vaut validation de leurs choix, voire absolution. Soit. Si l’on comprend donc parfaitement la déception d’élus qui ont porté ce projet et l’ont cru bon pour leur population, on ne peut en revanche les suivre dans leur obstination car ils sapent alors les fondements mêmes du pacte républicain qui repose sur l’état de droit.

 

En effet, le président de la Dordogne dérape en tant qu’élu, sur plusieurs points :

 

D’abord, il brouille les cartes en laissant entendre que c’est l’État qui après avoir donné son autorisation la retire ( « L’état ne se gêne ainsi pas d’aller contre l’avis constamment réaffirmé des élus du département, contre l’avis de la population sollicité par un referendum organisé en 1995 et et contre le choix des électeurs de porter à la tête des quatre communes concernées des élus favorables au contournement » éditorial page 1).

Or, l’ancien député ne peut ignorer que le Conseil d’État malgré son nom n’est pas l’État mais la plus haute juridiction dans notre constitution, que la justice a le dernier mot sur la légalité ou non d’un projet et qu’elle peut donc désavouer et condamner l’État. Il devrait le rappeler aux citoyens plutôt que de leur faire croire que la volonté des élus locaux et de leurs électeurs l’emporte sur la loi.

 

Ensuite, il appelle citoyens et élus à manifester la semaine prochaine pour la réalisation du contournement, ce qui laisse rêveur alors que la justice lui a enjoint de procéder à la remise en état du site.

 

Enfin, pour faire bonne mesure, il en appelle au Président de la République « premier garant du bon fonctionnement des institutions » (éditorial) comme si, probablement en plus de soigner les écrouelles comme les bons rois d’autrefois, celui-ci avait une sorte de droit de grâce pour les projets retoqués... Si le Président est vraiment garant des institutions, il répondra normalement au Président du Département que la justice a tranché et qu’en bon républicain il doit se soumettre ou se démettre...

 

J’ai tout de même une suggestion : si on remettait en place une petite commission ? Juste pour dire qu’on réfléchit évidemment, pas pour régler vraiment les dysfonctionnements, ce serait tellement triste de ne pas continuer à gâcher de l’argent et de l’énergie !

 

Françoise Verchère,

Maire et conseillère générale honoraires

 

(*) coprésidente du CéDpa, collectif d’élus opposés à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

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