Publié le 28 novembre 2022 BERNARD BOUSQUET, Ingénieur forestier, Écologue, Ancien expert de la Division des Sciences Écologiques de l’Unesco. Écrit à la directrice Générale de l'Unesco

Bernard Bousquet                                                  Sarlat, le 28 novembre 2022

Ancien expert de la Division

des Sciences Ecologiques de l’Unesco

 

bebousquet@wanadoo.fr

Tel 06 88 77 30 20

 

Madame la Directrice Générale

UNESCO

7, Place de Fontenoy

75007 Paris

 

 

 

Lettre ouverte à la Directrice Générale de l’UNESCO

 

 

 

Objet : la poursuite du chantier de la déviation de Beynac à l’ordre du jour ?

 

 

 

Madame la Directrice Générale,

 

 

Par un courrier du 21 décembre 2018, nous avions déjà alerté votre prédécesseuse sur la menace que le contournement routier de Beynac (Dordogne) faisait peser sur l’intégrité de la zone centrale de la Réserve de Biosphère « Bassin de la Dordogne ».

 

La France s’était pourtant engagée auprès de l’UNESCO à ne faire que des projets de développement durable dans ses 13 réserves de biosphère. En ressortant en 2016 un projet d’aménagement routier vieux de 40 ans en pleine zone centrale, zone dont la vocation est la stricte protection de la biodiversité, le Président du Conseil départemental de la Dordogne, porteur du projet et soutenu par l’Etat, a conduit la France à rompre ses engagements.

 

En 2017, il s’est passé un « fait du prince » inadmissible à l’intérieur d’une Réserve de Biosphère, quand le principe d’adhésion de la population qui est l’une des composantes fondamentales des réserves de biosphère fut bafoué, plus de 80% s’étant déclaré hostiles à ce projet lors de l’enquête publique menée cette année-là.

 

Après plusieurs recours en justice engagés sans succès par les opposants, il a fallu attendre l’heureuse décision du Conseil d’Etat (28/12/2018), pour que le chantier soit définitivement stoppé. Hélas, avant ce blocage, de graves dommages avaient eu le temps d’être causés au paysage et aux écosystèmes naturels de la zone centrale : pollution des eaux lors des travaux, déforestation d’une ripisylve centenaire (habitat communautaire de l’Europe), clôturage du chantier perturbant les déplacements de la faune, bétonnage de terres agricoles dans le lit majeur de la rivière, suppression d’habitats d’espèces remarquables, … Des vestiges archéologiques situés sur le tracé de la route projetée, dont un bassin gallo-romain, ont été démolis en toute hâte avant même d’être étudiés !

 

Le président du Conseil départemental de la Dordogne, Germinal Peiro, n’a jamais accepté cette décision de justice qui exigeait de lui qu’il remettre le site dans son état initial. Cette obligation s’accompagne désormais d’une astreinte de 3000 euros par jour au département si la remise en état ne démarre pas avant la fin de cette année.

 

Mr Peiro, n’a jamais obéi à cette injonction, critiquant cette décision des Juges qui selon lui « torpillait un projet d’intérêt général et faisait perdre 40 millions d’euros aux Périgourdins ». Les juges ont considéré que l’intérêt général était du côté de la protection de la biodiversité. Quant aux sommes avancées par Mr Peiro pour la démolition du chantier, elles sont fantaisistes, mais ont réussi à convaincre nombre d’habitants du département qui s’y réfèrent pour dire qu’il faut achever ce qui a été commencé.

 

Depuis trois ans, le site est pollué par la présence des éléments intrusifs de ce chantier abandonné : piles de ponts, estacades, monticules de terre, radier de béton, etc. qui enlaidissent considérablement le paysage de ce site emblématique, classé à plus d’un titre (Natura 2000, arrêté de biotope, site inscrit et zone centrale de RB).

 

Mais voici que les choses sont en train de bouger, que la vase est remise en suspension…

 

Loin de renoncer, le département de la Dordogne vient de concevoir un soi-disant « nouveau projet », votant une provision d’un million d’euros pour payer l’astreinte financière pendant au moins une année. Un an, c’est à peu près le temps nécessaire pour que ce « nouveau projet » obtienne l’agrément du Préfet. Nous l’avons rencontré à plusieurs reprises. Il entretient le suspens et ne fera part de sa décision que dans le courant du mois de décembre. Quant à Mr Peiro, il continue son lobbying politique, ayant réussi à « accrocher » le Président de la République à propos de son projet, à l’occasion du récent Congrès des Maires de France.

 

Cette possibilité de « nouveau projet » nous inquiète. Un projet qui n’aurait en fait pas grand-chose de ‘nouveau’ puisqu’il reprendrait les éléments abandonnés du chantier précédent, dont les énormes et disgracieuses piles en béton des deux ponts ultra-modernes projetés sur la rivière que le département refuse obstinément de démolir.

L’entêtement obsessionnel de la part d’une personnalité dotée de rien de moins que la responsabilité de la bonne marche d’un Département conduirait à la défiguration d’un paysage naturel et historique rythmé par les châteaux forts et préservé depuis des siècles au bord de sa majestueuse rivière. Sans oublier cet outrancier gaspillage de fonds publics dans un département parmi les plus endettés de France, et qui doit faire face à des besoins d’un autre niveau de priorité.

 

Il existait pourtant des alternatives d’aménagement, bien moins onéreuses et destructrices du site classé de Beynac, et qui pourtant n’ont jamais été étudiées (combinaison de la ligne de train existante avec de navettes électriques par exemple). Toutes respectent le site Natura 2000 et l’aire centrale de la réserve de biosphère « Bassin de la Dordogne » !

 

Au-delà du gâchis financier, tandis que la France freine des quatre fers pour ralentir le rythme effréné d’artificialisation de son territoire, il est scandaleux de continuer de sacrifier les terres fertiles d’une vallée préservée pour l’ouvrir à un flux permanent d’une circulation automobile qui n’a rien à y faire. Et ce n’est pas parce « qu’il existe déjà 140 ponts sur la Dordogne » (sic le président du département) qu’on doit continuer de la bétonner à tout va ! Il y a des limites aux résiliences naturelles ! Les compensations écologiques ne sont que de médiocres pis-aller. Quant aux routes et aux ponts ils ne sont pas encore assez transparents pour s’intégrer dans les paysages…

En période de lutte contre les dérèglements climatiques et contre l’effondrement de la biodiversité, d’acheminement vers les mobilités électriques, de besoin de protection renforcée pour les sites classés, la Dordogne ne manque pas de projets plus utiles pour le bien général.

 

Il est choquant que le porteur de ce projet de déviation, à rebours de l’Histoire, soit en même temps le président en exercice de l’établissement public (EPIDOR) chargé de la gestion de cette Réserve, la plus vaste de France et, en habile équilibriste, parvenir à garder des liens étroits avec l’UNESCO, ayant même organisé un congrès international EUROMAB à Sarlat en avril 2017 tout en cachant le chantier aux participants logés à une dizaine de kilomètres à peine !

 

Dans le cas où le Préfet donnerait une nouvelle autorisation de démarrage pour une version bis du contournement routier, les opposants, dont nous sommes, déposeraient bien entendu un recours en justice. Nous aurions de bonnes chances d’avoir gain de cause, sachant que les juges n’ont pas pour habitude de se déjuger et le Conseil d’état, à deux reprises, a statué au fond sur ce dossier. Mais la politique peut s’en mêler et dans ce cas n’importe quel raisonnement rationaliste peut sortir de ses gonds !

 

 Madame la Directrice, la Réserve de biosphère « Bassin de la Dordogne » ne respecte pas les engagements pris lors de sa reconnaissance par l’UNESCO. En ne se conformant pas à ces engagements, elle ternit aussi l’image des réserves de biosphère et du programme MAB de l’UNESCO.

C’est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir intervenir au plus haut niveau de l'Etat et de brandir la menace de retirer votre label accordé en 2012, pour dénoncer cette imposture dans un pays qui s’est déclaré engagé sur la voie du développement durable, au moins sur le territoire de ses réserves de biosphère. Le moment nous semble opportun, car il pourrait influer sur la décision que va prendre le Préfet.

 

Je vous prie de croire, madame la Directrice en l’assurance de ma haute considération.

 

 

       Bernard Bousquet

       Ingénieur des Eaux et Forêts

       Docteur en écologie

       Administrateur SEPANSO 24

       Administrateur DIGD

 

SEPANSO : Société de Protection et d’Aménagement de la Nature dans le S-O

DIGD : Défense de l’Intérêt général en Dordogne

 

 

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